AA 94 ≡ arche, station 7 “Le truc avec ce genre de blessure, c’est de savoir les –“ “Astrae !” La jeune femme releva la tête, sourcils froncés. Elle aperçut Deneb, qui venait d’entrer dans la pièce, l’air paniqué. Astrae jeta un coup d’oeil à son professeur, qui voyait clairement cette intrusion d’un mauvais oeil. La jeune femme jeta par la suite un regard noir à Deneb – elle ne pouvait pas se permettre de perdre sa bonne relation avec son professeur. Les examens approchaient à grand pas, et si elle voulait les passer, et finalement obtenir son poste de médecin, elle devait mettre toutes les chances de son côté. “Den, qu’est-ce que tu fous ?” siffla-t’elle entre ses dents, essayant de rester calme. Deneb avait toujours été comme ça – totalement impulsif, incapable de rester en place. Ensemble, ils étaient un duo qui savait créer des tornades. Mais pour l’instant, elle voulait juste qu’il s’en aille pour que le cours puisse continuer. Mais Deneb ne bougea pas. “Strae, faut que tu viennes.” La jeune femme secoua la tête, pointant les notes posées sur ses genoux et le professeur à l’avant. “Tu vois pas que je suis occupée ?!” Deneb planta son regard dans le sien, et soudainement, Astrae y vit quelque chose. Quelque chose qu’elle n’aima pas du tout. Un sombre sentiment s’installa à l’intérieur d’elle. Elle connaissait ce regard. Quelque chose n’allait pas. “Astrae. C’est ta mère.” La jeune femme sentit son sang se refroidir. “Faut que tu viennes, vite.” Il ne fallut pas plus pour qu’Astrae jette ses notes sur le sol et suive Deneb, qui était déjà parti. Elle le rattrapa, et les deux amis se mirent à courir. Ils traversèrent plusieurs couloirs. Le coeur d’Astrae battait si fort dans sa poitrine qu’elle crut bien qu’il exploserait. Elle avait envie de vomir. Ses poumons étaient comme écrasés. Maman, se répétait-elle. Maman. Le trajet de la salle de cours sembla durer une éternité. Ils arrivèrent finalement à la porte d’éjection, le souffle court. “Maman !” s’écria Astrae, les yeux brûlants. Les militaires se retournèrent vers elle. Puis, Astrae vit la porte se refermer sur l’espace noir. Elle fixait les étoiles, sentant le sol se dérober sous ses pieds. Sa mère. Celle qui l'avait élevée. Celle qu'elle aimait le plus au monde. Elle ne pouvait pas être partie, non, elle ne pouvait pas. “Maman” répéta-t’elle en un murmure. Elle s’approcha de la vitre, où elle déposa une main. Quelques larmes glissèrent sur ses joues. “Mademoiselle, reculez immédiatement.” Elle les ignora. Elle était incapable de tirer son regard du grand espace, noir, terrible. Son coeur brisé tombait en morceaux dans son estomac. “Qu’est-ce qu’elle a fait ?” dit Astrae d’une voix tremblante, en se tournant vers les militaires. Ils ne répondirent pas. “Qu’est-ce qu’elle a fait, putain ?!” insista-t’elle, sentant la colère s’emparer d’elle. “Mademoiselle, calmez-vous immédiatement.” “Je vous ai posé une question !” s’écria-t’elle, la voix brisée par la douleur. “Strae, arrête. Faut partir –“ commença Deneb. “NON !” hurla-t’elle. “Je veux savoir ce qui s’est passé, merde ! Dites-le moi !” Elle s’était approchée un peu trop près. Il ne fallut rien d’autre pour que le militaire le plus proche ne s’empare de son bras. Astrae tenta de le repousser, mais il était trop fort. Elle se débattit, lui assénant un coup de poing au visage. “STRAE, ARRÊTE !” s’écriait Deneb. “LÂCHEZ-MOI ! DITES-MOI CE QU'ELLE A FAIT !” répéta-t’elle, encore et encore, tandis que les militaires tentait de s’emparer d’elle pour la contrôler. Elle se battit contre eux à peine une minute avant qu’ils ne prennent le dessus. Et alors qu’elle pleurait, et qu’elle hurlait, Astrae sentit le monde s’écrouler, ce monde déjà tellement fragile, ce monde qui était soudainement devenu bien plus sombre.  

AA 96 ≡ arche, prison “Salut, Den.” Le nom écorcha la gorge d’Astrae alors qu’elle le prononça. Après tout, ça faisait si longtemps qu’elle n’avait pas parlé à voix haute. À quelqu’un. Elle fixa le jeune homme. Il lui lança un petit sourire qui n’avait rien de convaincant. “Hey, Strae.” La jeune femme n’arrivait pas à détacher son regard de son visage. Il paraissait tellement fatigué. Tellement plus épuisé et maigre qu'elle ne l'avait jamais vu. “Qu’est-ce qui t'arrives ?” demanda-t'elle doucement. Elle ne perdrait pas de temps à lui demander les vraies choses. Leur temps était compté, après tout. Mais elle devait savoir. Elle devait. Deneb arqua un sourcil, haussant des épaules. “Ça n’a pas d’importance” répondit-il. Astrae eut un rire moqueur. “Pas d’importance ? Arrête, j'suis peut-être une criminelle mais je suis loin d'être une débile.” Deneb lui jeta un regard noir, mais il connaissait assez bien la jeune femme pour savoir qu’elle n’allait pas lâcher le morceau. “Ma mère est malade. Elle a besoin de médocs." Astrae sentit son coeur se serrer. “Merde.” Deneb haussa un sourcil, hochant doucement de la tête. "C'est grave ?" "J'en sais rien. Mais elle a besoin de soins, ou sinon..." "Les médocs, tu peux pas les avoir ?" Deneb eut un petit rire ironique. "Trop chers. On pourra jamais se les payer. Y'a personne pour nous aider." Astrae entendit quelque chose dans la voix de son ami. Elle le connaissait par coeur, après tout. Ils avaient grandis ensemble. "Qu'est-ce que tu comptes faire ?" "Je vais faire ce que je dois faire." Astrae n'eut pas besoin de plus pour comprendre. Deneb volerait les médicaments s'il le fallait, elle en était bien consciente. Elle le toisa quelques secondes. "Tu vas te faire attraper, tu le sais, ça." "Faut bien que je fasse quelque chose !" "Et après, quoi, Deneb ? Crois-moi, tu veux pas venir pourrir dans une cellule. Tu veux vraiment pas." Deneb soupira. "Strae, j'ai pas le choix. Qu'est-ce que tu ferais, toi ?" Elle n’avait pas le droit de le réprimander. Elle n’était pas du tout contente de son idée, mais elle ne pouvait pas lui dire que ce qu’il avait envie de faire était incorrect. Après tout, elle aurait probablement fait la même pour sa mère, quand elle était encore en vie. Il avait raison. Elle laissa échapper un soupir. Puis, alors qu'elle ouvrait les lèvres, un garde approcha pour annoncer que c'était la fin de la visite. "Merde. Den, fait rien que tu pourrais regretter" dit-elle. Il se leva, hochant de la tête. Elle aurait tout donné pour pouvoir le tenir dans ses bras. "Prends soin de toi, Strae." "Den, promets-le moi !" Mais c'était trop tard. Il était parti, suivi par le garde. Astrae soupira, l'observant partir.

AA 97 ≡ terre, campement terre Elle suivit son ami à travers le campement, observant les autres, qui construisaient, qui expérimentaient, qui réfléchissaient. C’était cent – enfin, presque – cerveaux qui travaillaient ensemble pour tenter de bâtir quelque chose de bien. Ils étaient presque rendus à l’orée de la forêt quand Astrae entendit son nom. C’était Deneb. “Où tu vas ?” demanda-t’il. Astrae retint un soupir. Il voulait toujours savoir où elle allait. Ce qu’elle faisait. Elle savait que c’était pour la protéger, mais ça devenait agaçant. “Exploration.” Elle ne lui laissa pas le temps de s’y opposer. “On sera de retour dans quelques heures.” “Sois prudente” dit-il. “Quand est-ce que je ne le suis pas ?” Elle lui donna un grand sourire, et tourna sur ses talons pour s’enfoncer dans la grande forêt, inspirant l’odeur de la terre et de la sève. Elle était enfin libre. Elle vivrait.