Dans le paysage de la vie de Gayle, il y a toujours eu Brandon. D'abord en tant que meilleur ami, à qui, à ses quinze ans, elle avait parlé de ses déboires amoureux. Celui qui lui avait promis qu'il se marierait avec elle, si à ses trente ans, vieille et ridée, elle ne trouverait personne. Puis son fiancé, parce que tout était allé si naturellement entre eux. Puis celui qui la faisait le plus souffrir, et elle étant celle qui le faisait le plus souffrir : Gayle a tourné le dos à Brandon, à tout ce qui faisait leur amour, à leurs promesses de mariage pour protéger ses convictions. Pour protéger ceux avec qui elle avait agi, dans l'espoir de changer les choses sur l'Arche. Brandon a été plus tenace qu'elle, embarquant sur le projet Exodus grâce à la mère de la brune, affrontant les coups des autres prisonniers qui le traitaient comme un bizut, un gosse de riche qui n'avait pas sa place en prison. Gayle pensait avoir besoin de lui, parce qu'il était son monde ; elle était prête à mourir exécutée pour ses convictions, si elle ne l'entrainait pas lui dans sa chute. Ça a pourtant été le cas, et elle le déteste pour ça.

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the ark, station 1. gayle, eighteen years old « Ta mère va me détester. » derrière le rire qu’il lâcha, Gayle put deviner l’inquiétude, réelle et légitime inquiétude : cette fossette se creusant au coin de sa bouche, les traits tirés de son front. Oui, sa mère le détesterait – et elle hurlerait sans doute son mécontentement haut et fort, d’une façon ou d’une autre. Qu’importe : ce n’était pas maintenant qu’elle aurait son mot à dire. En une moue passant en une fraction de seconde sur son visage, la brune balaya sa mère de ses songes, comme elle le faisait volontiers depuis un certain nombre d’années maintenant : la petite fille aux tresses brunes était devenue une adolescente revêche et froide, rancunière à l’égard de la femme qui l’avait abandonnée volontiers si souvent. Sa mère la Conseillère – tant mieux pour elle, elle avait fini en haut de l’échelle, sacrifiant au passage tout ce qui n’avait pas d’importance à ses yeux. Bran savait tout ça, et s’escrimait sans doute à parler de cette mère absente comme pour pousser Gayle à accepter ce qui rendait la vie si injuste – elle, elle avait encore sa mère, d’une manière ou d’une autre. « J’pense que tu devrais surtout t’inquiéter de mon père. » ce fut à son tour de lâcher un léger rire, se mordillant la lèvre dans l’expression d’une nervosité commune avec celle du jeune homme. Son père était devenu celui qui importait, celui qui, quand il la regardait avec de la fierté dans les yeux, ravivait son cœur d’un bonheur sans borne. De sa main, elle vint prendre celle du jeune homme, observant leurs doigts entrelacés alors qu’elle venait se blottir contre lui : oui, Murphy tuerait sans doute Brandon d’une manière ou d’une autre. Se fiancer à dix-huit ans, c’était peut-être la chose la plus stupide qu’ils avaient pu faire, mais c’était tout eux. Ils s’étaient pourtant promis, à une époque, de ne se fiancer que s’ils atteignaient les trente ans sans avoir connu l’amour. Ils avaient sauté le pas bien plus tôt, et c’était tant mieux. Aucun des parents Baxter ne pourrait y changer quoi que ce soit – et ils le sauraient bien assez tôt, Gayle avait sa propre façon de prendre sa vie en main.

the ark, prison cell. gayle, twenty years old « Gayle. » c’était cruel d’avoir choisi Brandon pour la faire faiblir. Assise, les genoux repliés contre sa poitrine, bras autour, Gayle tentait tant bien que mal d’éviter le regard du jeune homme. Son fiancé, auquel elle avait si volontiers renoncé pour une histoire de fierté : était-elle comme sa mère, au final ? Brandon avait pu voir l’estafilade qu’elle avait au niveau de l’arcade sourcilière, c’était la première chose dont il s’était inquiété, toujours prêt à se préoccuper de la jeune femme avant tout le reste : la brune n’avait pas voulu répondre à ses questions, préférant éviter de raconter qu’elle s’était encore pris la tête avec des gardes, et qu’elle avait cassé le nez de l’un d’eux au chemin – ce qui n’arrangeait pas son cas. Elle savait, que le seul moyen de s’en sortir, c’était de dénoncer ceux avec qui elle avait travaillé : ils n’attendaient tous que ça, qu’elle balance les autres pour sauver sa peau. « Gayle. » répéta-t-il, tentant de chercher le regard fuyant de la brune : Gayle passa une main sur ses yeux, pour tenter de balayer les larmes qui avaient commencé à border ses paupières. Bran et elle, auraient pu avoir une bonne vie – ils pourraient encore l’avoir, si elle choisissait différemment. Elle savait pourtant quel était son choix, quelle était la décision viscérale qu’elle prendrait : il ne pouvait en être autrement. Ce n’était pas en elle d’agir comme ce que les autres voulaient. « T’aurais pas dû venir. » lâcha-t-elle, la gorge enserrée, tentant tant bien que mal de ravaler la bile acide qui gagnait sa gorge : avec défiance, elle parvint à dévisager le jeune homme. Gayle plongea une main en travers de la table, déposant celle-ci sur le métal froid, et espérant sans doute que la brune y réponde en se penchant elle aussi, pour venir prendre ses doigts : ce contact lui manquait tant. Tout en Bran lui manquait. Bran lui manquait plus que n’importe qui. Ses ongles s’enfoncèrent dans la chair de ses genoux, mais elle ne bougea pas, luttant contre tous les instincts que ses entrailles lui dictaient – ce serait si facile, de se blottir contre Bran, oublier le reste du monde et enfin faire la chose censée que tout le monde voulait. Mais non, elle ne le ferait pas. Et elle mourrait. « T’aurais pas dû venir ! » lâcha-t-elle plus vivement, véhémente et colérique subitement : Bran ne cilla pas. « Tu feras pas changer ce que je ressens pour toi. » Bran avait toujours été là pour elle, Bran avait été son ombre, sa moitié, une part de son âme. Elle ne voulait pas le repousser, ni même envisager sa vie sans lui. « Fous-moi la paix, okay ?! Pourquoi t’es venu, hein ?! Tu veux quoi ?! Que je balance d’autres gens à ma place, peu importe qui c’est ?! C’est ma mère qui t’envoie ?! » elle s’était presque levée, rappelée à l’ordre par le mouvement général des gardes, qui se rapprochèrent d’eux. D’un geste, Brandon leur fit comprendre que tout allait bien : tout n’allait pas bien cependant. Elle ne pouvait plus supporter cette vie qu’on lui demandait de reprendre : gamine de la station 1, plongée dans son monde si joli, prête à épouser un homme qui s’en foutait des autres, tant qu’elle sauvait sa propre peau. « A quoi tu joues Gayle ? Tu vas te laisser mourir c’est ça ? Pour quoi ? Parce qu’on est pas assez bien pour toi maintenant, c’est ça ? » et Bran avait toujours ce talent pour parler d’un ton si calme et implacable à la fois – Gayle le dévisagea, perdant de sa superbe : était-ce ça ? Peut-être bien. Ils la dégoutaient tous. Elle préférait mourir que prétendre que tout allait bien dans cette Arche pourrie. « Lâche-moi, tu veux ?! T’es juste comme tous les autres. » il ne l’était pas ; elle le savait au fond d’elle. Brandon voulait la sauver elle, avant tout ; il avait pourtant été une des premières victimes de l’injustice de l’Arche. Il s’adaptait, tant bien que mal sans doute, et tentait en vain de garder les derniers lambeaux de sa vie en l’état – Gayle ne lui rendait pas la chose facile. Et d’ici quelques mois, elle serait morte et il aurait à nouveau perdu quelqu’un. Tout aurait été mieux s’il n’était pas venu.

the ark, prison cell. gayle, twenty years old « Prisonnier 158B4 veuillez reculer contre le mur. » la brune ne bougea pas : elle était déjà contre le Mur – dans les ténèbres causées par la nuit, c’était son seul repère. Le mur. Les gens de l’Arche savaient parfaitement comment rendre invivable l’isolement. L’électricité avait été coupée depuis des heures déjà, et la jeune femme avait retrouvé le petit coin de mur qui lui servait de réconfort pour tout ce temps dans le noir. L’isolement avait eu pour conséquence de calmer les ardeurs de la Baxter, qui demeurait silencieuse, ignorant presque les portes qui s’ouvraient pour laisser entrer un type, qui déposa à quelques pas de là son plateau repas. Le seul de la journée, elle le savait – dans ces conditions, les journées n’étaient de toute manière pas un repère. Elle avait écopé de trois jours d’isolement, pour avoir sauté à la gorge de Bran aussitôt qu’elle l’avait vu, furetant dans les couloirs de la prison, affublé de la même combinaison grise qu’elle avait elle-même. Il avait été arrêté et elle ne savait même pas pour quels crimes : il mourrait, c’était tout ce qu’elle savait. Il mourrait tout comme elle, sans doute pour prouver un point, ou tenter de la faire céder, ou même lui faire comprendre ce que ça faisait. Ça faisait mal. Ça lui coupait l’appétit, et lui donnait envie de se laisser crever à petit feu dans cette cellule. Elle avait compris l’idée. Mais tout ce qu’il avait gagné, c’était qu’elle le détestait maintenant, qu’elle le détestait pour lui faire vivre ça, tout autant qu’il la détestait sans doute pour le cas inverse. Ils étaient pitoyables, mais elle le détestait quand même.