Grandis vite, Maja. souffla Melek en caressant la joue du bébé du bout des doigts. Il plongea son regard dans les yeux bleus en amande de sa fille qui se mit à gazouiller bruyamment. Melek rit un peu, profita de la petite main qui s'accrocha à sa barbe, et tendit finalement l'enfant à la nourrice qui serra Maja contre son coeur. Prenez soin d'elle. ordonna-t-il, comme chaque fois qu'il quittait la tente, avant de s'aventurer à l'extérieur, avec une envie sourde d'oublier ces quelques sentiments de rancœur envahissant son âme et son palpitant.

Huj Melek Grinsema. annoncèrent les gardes au moment où le Huj de Tondc pénétra les quartiers de la jeune chef de la faction-village de Inco, Korra Azgada. Un sourire poli mais provocateur étira ses lèvres charnues. D'aucun savait que ce n'était généralement pas de bonne augure, aussi la tension monta imperceptiblement dans la tente. Huj Korra Azgada. salua-t-il doucement en laissant courir son regard électrique sur la silhouette frêle mais charismatique de la jeune femme aux longs cheveux blancs insolents. L'anxiété retomba, de même que les épaules tendues s'affaissèrent autour d'eux très légèrement mais assez pour être vu d'un homme qui avait fondé son pouvoir sur l'observation des choses et des gens. Melek ne comprenait que trop bien qu'ils puissent s'inquiéter pour la belle Korra, qui ne s'attendait nullement à devenir Huj aussi jeune. Lui aussi, on l'avait encadré ainsi quand il avait accédé au rang de chef de Tondc lors de son vingt-deuxième été. Néanmoins, si tous ici – ou presque – préféraient la ménager en ces temps troubles, Melek était décidé, au contraire, à la pousser à faire ses preuves. Il ne voulait pas pour pair une fillette capricieuse tout juste bonne à être belle à la tête d'une armée. C'était la guerrière qu'il voulait découvrir, le Huj qu'elle se revendiquait être, prête à mener hommes et femmes à la guerre, à se montrer observatrice, endurante, stratège. Les soldats d'Inco étaient, comme ceux de Tondc, réputés pour leur grande force et leur robustesse, et Korra devait être digne de cette réputation qu'elle devait conserver auprès des autres factions-villages. Au delà de ça, l'idée de botter le cul d'un des chiens de garde de la Commandante le motivait énormément, en ce jour ensoleillé. Me feriez-vous l'honneur de partager mon entraînement ? Le temps est clément et les gens du ciel semblent calmes. C'est le moment idéal pour se chamailler dans la boue. lança-t-il enfin de son éternelle voix calme et charmeuse, élément grâce auquel il fondait le respect des autres à son égard, et surtout des femmes qui se laissaient volontiers avoir par ce timbre de voix tendre et chaleureux. En fin stratège qu'il était, Melek savait comment s'adresser aux gens. Et il savait aussi que cela ne marchait pas sur Korra Azgada, qui verrait en son comportement un air de défi et de moquerie sous-jacent. A moins que la politique d'Inco accapare trop de votre temps. conclue Melek en posant sa grande main sur le pommeau de son épée. Il avait pleinement conscience qu'elle allait craquer. La politique pouvait se montrer fort ennuyeuse, ou très pesante, notamment lors des moments de guerre. Si Korra comme tant d'autres refusaient de passer clairement à l'offensive, encore une fois à cause de la Commandante, personne ne pouvait nier que la guerre était là, au bout du chemin. Un bon entraînement était pour la plupart des Grounders, et notamment des bons soldats, la meilleure façon de se détendre le corps et l'esprit. Il ignorait ce qu'une femme d'Inco pouvait bien faire pour passer le temps. A Tondc, on se plaisait à chasser, à se perdre dans la forêt pour se heurter à la rudesse de la Terre telle qu'elle avait été laissée par les anciens Hommes. Malgré tout, le combat était le fondement de leur être. La survie avant tout le reste. La survie avant l'amour des étrangers. Seuls les siens comptaient réellement; pas seulement Oana et Maja, mais tous les habitants de Tondc, et aussi les Grounders qui lui étaient alliés. Croom, Delfi, Inco – fallut-il espérer que Korra Azgada ne brise pas cette alliance à cause de son amour pour la Commandante – et d'autres. Cet entraînement serait également un bon moyen de découvrir la position de la jeune femme quant à la situation actuelle, en dehors des conseils des Huj.

Le silence de la Chef avait tendu l’air. Les mots avaient filé à toute allure, pourtant, il y a peu : l’argentée avait semblé demeurer sourde aux conseils des uns et des autres, lèvres closes, regard hagard. La sentence était tombée, et les nouvelles n’étaient pas bonne : Inco avait toujours valsé sur une fine frontière pendant toute son existence – les Huj avaient toujours été impressionnants, imposants, présent et pressants face à l’ennemi. L’opaline n’était rien de tout cela, si frêle, si jeune – vulnérable. Dans le tumulte, la bataille qui faisait rage dans sa tête, Korra ne trouvait pas la moindre idée à laquelle se raccrocher – un mince filet d’espoir, d’orgueil qui lui permettrait d’ouvrir la bouche, d’un ton salvateur et impérieux, annonçant une décision ferme et définitive. Mais que devait-elle faire ? Sur ses épaules, pesaient les œillades des uns et des autres, tous ici pour la soutenir, l’entourer : son père, lui, avait toujours été seul pour prendre ses décisions, acclamé quoi qu’il fasse, quoiqu’il pense, quoiqu’il choisisse. Ils considéraient son enfantée comme une novice, un cerveau malléable auquel ils pouvaient faire avaler ce qu’ils voulaient : elle savait pourtant, que tous auraient préféré à l’instant précis que ce soit Silas, et non elle, qui se tienne ici. Le Silas d’autrefois, du moins, pas celui qui selon les dires avait perdu la tête suite à la mort du paternel – et l’obstination de la jeune femme à ne rien exprimer à ce sujet n’aidait en rien à taire les rumeurs. Silas n’était pas là, et c’était elle qui avait payé le prix du sang : on lui prêtait la même bravoure, la même impartialité, la même puissance que son père, alors que déjà, elle ne savait plus. Son armée était dispersée, des hommes restés au Nord, d’autres l’ayant accompagnée pour venir ici, livrer une guerre que certains considéraient comme n’étant pas la leur. C’était les ordres – qu’aurait-elle été supposée faire ? Le doute était pernicieux, empoisonné alors qu’il dévorait tous les songes de l’Azgada, et gagnait jusqu’à son cœur : avait-elle conduit sa faction-village à une fin prochaine ? Est-ce qu’elle retournerait au Nord pour n’y trouver que des ruines, des cendres et du sang ? L’enclume pesa plus lourdement encore sur son âme, la retenant sur Terre, à la réalité et à tout ce que cela imposait : le choix. Le choix qu’elle devait faire, et formuler à haute voix, pour toutes les oreilles qui attendaient avidement qu’elle daigne se tourner vers eux. Ses réflexes auraient été de se fier à d’autres bouches, d’autres voix l’aiguillant sur la bonne piste : et pourtant, là où désespérément son cœur les appelait dans une plainte lascive, ils l’ignoraient. L’oubliaient. Tous guindés par l’orgueil, la déception amère au creux de leur égo – elle affrontait, impassible, gardant prudemment verrouillées derrière les apparences ces vérités qui seraient à même de la rendre plus faible encore. Elle n’avait jamais voulu de cette place de Chef : toute sa vie avait été érigée dans la simple ambition d’être celle qui verrait son frère monté au plus haut, et qui le soutiendrait. Toujours. Toujours elle l’aurait soutenu. Contrairement à lui.

L’attente, l’hésitation : tout s’interrompit, suspendu à un fil alors qu’une voix annonçait la venue d’un visiteur. Indésirable. La peur fut chassée de l’esprit de la fille des Glaces, qui revêtit cet apparat qu’elle portait si bien en société : un air presque suffisant, l’orgueil affiché au bord des lèvres face à ceux qui éveillaient en elle une méfiance viscérale. Melek faisait partie de ces êtres là : combien de fois l’avait-elle dévisagé, plongeant dans son regard pour tenter d’y décrypter quelque chose ? Il était l’inconnu à l’état pur, étranger à tous ces visages qu’elle avait connus pendant toute sa vie – et pourtant, à ses tripes, il s’avérait plus menaçant que n’importe que les gamins du Skaikru. Soumise au regard frondeur, critique de l’homme, Korra releva le menton, piquée dans une fierté qui avait palpité dans sa chair depuis le jour de sa naissance. Les enfants du Nord n’étaient pas de ceux qu’on jugeait avec tant de défiance – un homme d’Inco, ou même son frère tout simplement, attirait tout de suite plus de respect qu’elle. Et elle détestait ce sentiment, éveillé et alimenté au creux de ses entrailles par les regards qui suivaient sa silhouette. Ils la jugeaient, et l’homme face à elle la jugeait : l’éclair de rage qui s’éveilla le long de sa colonne vertébrale n’en fut qu’une preuve supplémentaire – combien d’ennemis l’avaient sous-estimée sur le champ de bataille et n’étaient plus aujourd’hui là pour en parler ? C’était son frère, son père qui avaient tous deux alimentés cette légende autour d’elle, l’air fragile sur son visage, la vulnérabilité au fond de ses yeux – tout ceci devait être remplacé par de l’acier trempé, la fierté d’Inco. Elle n’était désormais plus la fille à protéger, la sœur à choyer. Les mots de Grinsema ne tombèrent guère avec la politesse qu’il entendait de sa voix veloutée – par-dessus l’épaule de la Chef, on marmonna une insulte en langage des Glaces, méconnu de tous, si ce n’est des hommes du Nord qui flirtaient trop souvent avec le danger de l’ennemi : la fierté des gens d’Inco était mise à rude épreuve aujourd’hui, et Melek Grinsema avait choisi de la défier le mauvais jour. Les regards flamboyants, les muscles tendus, Korra tenta de les apaiser dans un sourire hypocrite, aussi venimeux qu’une vipère et les apparences que le Chef de Tondc avait lui-même mises en place. « C’est bien aimable à vous de vous inquiéter de la politique de ma faction. » releva-t-elle, sourcil arqué, rictus retroussant ses lèvres d’un air obséquieux. « Je suppose qu’il n’y a rien de grave à avoir des occupations plus triviales, comme ici. » laissa-t-elle entendre, ponctuant sa phrase d’un mouvement des cils qui aurait en tout point pu être charmant. Il ne l’était pas, du moins, et au moment de faire volte-face, les apparences se fissurèrent, laissant glisser des éclairs de colère froide dans les prunelles de la blonde. Cham arriva en quelques pas, et Korra préféra se contenter d’une seule de ses lames, plutôt que de porter les deux qui l’accompagnaient habituellement au combat. Elles étaient plus courtes, plus légères que des épées : en parfaite harmonie avec le corps fin, musculeux et véloce de la blonde. Elle sortit quelques secondes après son adversaire, balayant les propositions des uns et des autres d’aller botter les fesses de l’insolent à sa place – ils semblaient voir ça comme un privilège, plutôt qu’un devoir. Melek défiait beaucoup trop l’autorité pour les hommes d’Inco, et l’Est apaisé ne connaissait sans doute rien d’au combien une décennie de guerre pouvait tout détruire. Sous les rayons ambrés du soleil, face à son ennemi, Korra leva sa lame, prête à être offensive, défensive, le regard accroché au moindre signe avant-coureur de la part de son adversaire. « Le premier à verser le sang de l’autre gagne, je présume. » tuer, était surtout son instinct premier ; mais combien d’estafilades avait-elle sur le corps ou avait-elle causées elle-même lors de ses entrainements ? Avec Nissa, avec Cham. Avec Silas. Tout ça, révolu ; peut-être bien que c’était le temps de se trouver de nouveaux partenaires d’entrainement, en effet.