« Murphy, parle-moi, s’il te plait … » Il lança un regard presque noir en direction de son épouse. Parler, mais parler de quoi ? Il n’avait plus rien à lui dire. Il laissa échapper un long soupire avant de tout le même faire l’effort d’ouvrir la bouche. « Parler de quoi ? De comment tu as laissé notre fille être envoyée sur Terre sans avoir la moindre idée de ce qui lui arriverait là-bas ? » Cassandre baissa les yeux. Non, elle ne voulait pas parler de ça, évidemment. Elle n’avait jamais voulu en parler. Pourtant elle savait très bien ce qui allait arriver, mais personne n’avait jugé bon de le prévenir lui, sans doute parce qu’on savait déjà qu’il aurait fait un véritable scandale. La terre était dangereuse, on ne savait pas si elle était viable et pour vérifier, on ne trouvait rien de mieux que d’envoyer des gamins. C’était sa fille à lui qui était sur Terre. Il ne savait pas quand est-ce qu’il la reverrait, il ne savait même pas s’il la reverrait. Cassandre aurait pu faire quelque chose, mais non, elle était tellement persuadé que la Terre était un coin de paradis qu’elle n’avait pas cherché à faire quoi que ce soit. « Elle ira bien. » Il leva les yeux au ciel. Personne ne savait ce qu’était devenue la Terre et ce n’était que des gamins. Elle ne pouvait rien garantir. Quand bien-même Gayle irait bien, il détestait l’idée que son épouse ait pu le tenir à l’écart de tout ça. Aussi loin qu’il se souvienne, il n’avait jamais eu aucun secret l’un pour l’autre. Ils se connaissaient depuis des années, depuis toujours. Ils étaient ces deux gamins qui courraient partout dans la troisième station et qui rendaient leurs parents complètement fous. Ils avaient toujours été collés ensemble, leur mariage vingt ans plus tôt avait été une évidence pour tout le monde. Ils s’aimaient, ça n’avait jamais fait aucun doute, mais aujourd’hui les choses étaient compliquées. Il lui en voulait, jamais il ne lui en avait voulu autant qu’en cet instant. C’était de leur fille qu’ils parlaient. Mais, la famille avait toujours été un sujet compliqué pour elle. Elle faisait de son mieux, c’était ce qu’il s’était souvent répété, c’était ce qu’il avait dit à leur fille pour justifier les absences à répétition de sa mère, mais maintenant il n’y croyait même plus. Elle était tellement passionnée par ce qu’elle faisait, tellement ancré dans ses convictions qu’elle ne se rendait même pas compte de ses erreurs. « Laisse tomber, j’ai pas envie de parler de toute façon. » Il détourna le regard, elle soupira. Ils en étaient réduits à ça à présent. Elle les avait conduits là où ils en étaient. Ils étaient brisés et recoller les morceaux n’allait pas être pas être une chose aisée. Il lui en voulait plus qu’il n’aurait cru pouvoir lui en vouloir un jour, mais elle n’allait pas abandonner si facilement ; elle n’avait jamais été du genre à baisser les bras, ce n’était pas aujourd’hui qu’elle allait commencer, il finirait bien par comprendre qu’elle avait fait ce qu’il y avait de mieux à faire.

« Gayle. Je ne peux rien faire si tu ne parles pas. » la brune s’était enfoncée dans un  silence de plomb aussitôt qu’elle avait reconnu sa mère à l’entrée de la salle d’interrogatoire – s’ils croyaient pouvoir l’amadouer en amenant sa mère dans la salle, ils se trompaient. Sans doute encore une idée idéaliste de sa mère, complètement à côté de la plaque : c’est vrai qu’il était plus facile pour Cassandre Baxter de croire qu’elle avait encore un quelconque lien avec sa fille, plutôt que d’accepter qu’elle l’avait elle-même détruit  il y a de ça des années. Cassandre soupira, dans l’expression plus que nette de son agacement, ce qui ne fit qu’à peine sourciller la brune : combien de fois avait-elle été attristée ou agacée par le comportement de sa mère sans que ça ne change quoique ce soit ? « Gayle. » insista-t-elle finalement, dans ce qu’elle pensait sans doute être un ton autoritaire – ce n’était rien comparé à la façon dont Murphy pouvait piquer une crise. Ou comment Gayle, pouvait elle, en piquer une : elle avait hérité de son père sur ce point-là, indéniablement. « Tu sais quoi ? J’crois bien que tu perds ton temps. » lâcha la brune en fusillant sa mère du regard, bien peu concernée par sa place de Conseillère, ou par les deux types qui faisaient le piquet juste à côté de la porte au cas où il prenne à la jeune Baxter de sauter au cou de la matriarche. Après tout, elle l’avait déjà fait, avec les autres gardes. La rousse voulut ouvrir la bouche à nouveau, mais Gayle fut plus rapide, vive et alimentée par cette haine viscérale refoulée depuis tant de temps – si elle devait crever et s’il fallait que ce soit leur dernière conversation, autant tout lui dire : « Quoi ?! Tu voulais faire quoi, hein ? Utiliser ton statut de grande Conseillère pour me sortir de là ?! Bah devine quoi, j’en ai rien à foutre de toi. Rien à foutre de vivre dans cette Arche pourrie que tu créées. Ça te dérange pas d’éjecter les gamins des autres, alors pourquoi tu veux tant que ça me sauver ?! » Gayle s’était levée, provoquant un mouvement chez les deux gardes, mais ils se stoppèrent d’un signe de la part de Cassandre : celle-ci savait bien de quoi sa fille était capable – et malgré elle, Gayle n’était pas capable de sauter à la gorge de sa mère, malgré la haine, la colère et le chagrin. « T’as jamais été ma mère de toute manière, j’vois pas pourquoi ça devrait changer aujourd’hui. » elles avaient, pourtant toutes les deux des souvenirs heureux, des souvenirs simples : Gayle assise sur les genoux de sa mère, l’écoutant raconter les merveilles de la Terre alors qu’elle lui caressait les cheveux avec amour. Tout ça était envolé, et c’était sans doute ça qui rendait tout si douloureux.